Police communautaire

Lors de la dernière grande réforme de la police en 2000, le ministère de la Sécurité publique du Québec savait déjà que le déploiement de corps policiers communautaires serait bénéfique pour les Québécois et Québécoises. Or, bien qu’il ait détaillé son intention dans une politique ministérielle, cette vision ne s’est pas concrétisée dû au système à deux vitesses de financement des corps policiers au Québec.

Le modèle de la police communautaire est le modèle d’avenir pour la police au Québec. Ayant fait son apparition au début du 19e siècle, il a fallu attendre le 20e siècle avant que le concept de police communautaire passe de la théorie à la pratique. Depuis vingt ans, on voit que les corps policiers du Québec ont commencé à embrasser le concept pour développer la version québécoise du modèle.

Qu’est-ce que la police communautaire?

La police communautaire, c’est l’idée selon laquelle les forces policières sont plus efficaces lorsqu’elles sont au diapason de la population qu’elles desservent. Ainsi, il est important de créer des liens forts avec la communauté afin de mieux intervenir selon ses besoins. Un corps policier communautaire ne veut pas à tout prix entrer dans une logique de répression, il cherche plutôt à prévenir la criminalité par ses activités de prévention auprès des différents groupes qui composent la société. L’expérience a démontré qu’il est important que le territoire desservi ne soit pas trop grand pour que le service de police puisse être bien adapté à la réalité locale et que les policiers maintiennent un contact permanent avec la population. Les trop grandes structures sont donc à éviter. Au sein d’un corps policier communautaire, on mise sur la polyvalence et la compétence des policiers pour faire respecter les règlements et les lois.

Bien que le gouvernement du Québec ait démontré clairement son intention d’amener les services de police à adopter cette voie lors de la mise en place de la politique ministérielle vers une police plus communautaire en décembre 2000, développée par le ministère de la Sécurité publique, nous sommes forcés de constater que l’expérience s’est mieux déroulée dans les villes disposant d’un corps policier municipal.

Prenons l’exemple de la Ville de Mont-Tremblant, où l’agent Mathieu Hinse a développé le programme Ski dur dans le cadre de ses fonctions d’agent aux relations communautaires. Il y avait à l’époque un important problème avec les groupes de jeunes ontariens qui venaient profiter des pistes de ski, puisqu’ils en profitaient aussi pour consommer de l’alcool et commettre divers crimes et méfaits. Pour enrayer le problème, l’agent Hinse a commencé à visiter tous les autobus qui arrêtaient à l’épicerie pour faire des provisions à leur arrivée à Mont-Tremblant afin de leur expliquer les règles en vigueur avec une touche d’humour bien à lui. Dans le reportage que Radio-Canada a fait le 22 janvier 2016, soit 5 ans après la mise en place du programme, on peut voir que les jeunes ont bien compris le message, qu’ils apprécient le travail du policier et les commerçants soulignent que la situation a complètement changé. Les méfaits ont fortement diminué et les règles sont mieux respectées.

Mentionnons aussi celui du service de police de Sherbrooke, où un agent aux relations communautaires visite les cours de francisation offerts aux nouveaux arrivants. Le programme, mis en place avec la collaboration d’une enseignante, permet aux nouveaux d’arrivants d’établir un contact positif avec un policier québécois. Ainsi, lorsqu’un groupe atteint un niveau de compréhension suffisant du français, le policier anime la rencontre pour exposer le rôle de la police au Canada et à Sherbrooke et pour parler, entre autres, du Code criminel, du Code de la sécurité routière, des règlements municipaux ainsi que du permis de conduire. Ces rencontres permettent aux nouveaux arrivants de se familiariser avec la réalité québécoise, ce qui leur évite de se mettre dans une position fâcheuse.

Dans la plupart des corps policiers municipaux du Québec, des initiatives sont mises en place pour faire de la prévention auprès des jeunes dans les écoles. À Saint-Jean-sur-Richelieu, les préventionnistes du service de police de la ville ont visité pas moins de 172 classes en 2019, ce qui représente environ une classe visitée par jour d’école. Ces présentations portent sur la sécurité à vélo, l’intimidation, la sécurité en ligne, les lois canadiennes et québécoises ainsi que sur la façon de faire la fête en toute sécurité, avec une attention particulière aux Bals des finissants. Conscient qu’une présence positive auprès des jeunes aura un impact positif dans leurs relations avec les forces policières tout au long de leur vie, les initiatives touchant les prochaines générations sont des investissements judicieux pour les corps policiers.

À Québec, le service de police de la ville (ci-après SPVQ) a mis en place le programme À la rencontre des ainés en 2014. Sous la supervision du Module des crimes généraux du SPVQ, des étudiants en technique policière visitent les aînés dans les édifices de l’Office municipal d’habitation de Québec (OMHQ) à l’automne et dans les résidences privées à l’hiver. Ces rencontres permettent d’augmenter le sentiment de sécurité des aînés, de diminuer leur vulnérabilité, de signaler des situations problématiques et de détecter des cas de maltraitance. L’initiative a donc permis de réduire l’isolement des aînées et de leur offrir le soutien nécessaire pour leur éviter d’être victimes d’abus.

Ces exemples ont tous en commun d’avoir été développés pour répondre à un problème local qui nécessitait une réponse locale personnalisée. Les villes sont donc plus à même de prévenir les problèmes de criminalité propres à leur municipalité. D’une municipalité à l’autre, la situation socioéconomique change parfois beaucoup. C’est pour cette raison qu’une approche provinciale est moins efficace, elle ne permet pas d’être aussi personnalisée. Ce sont ces initiatives personnalisées qui sont ensuite exportées dans d’autres corps policiers sous une forme adaptée. En ce sens, il est tout à fait logique de miser sur le type de corps policiers qui développe les programmes, plutôt que sur celui qui les réplique.

Dans certains cas, l’approche par la MRC doit être privilégiée afin de permettre une approche plus personnalisée à une région composée de municipalités qui ne pourraient supporter à elles seules le poids d’un corps policier municipal traditionnel. Si l’on veut vraiment améliorer la qualité des services offerts à la population, il faut rapprocher la prise de décision du terrain et des problèmes de criminalité. C’est la même logique que celle employée par le gouvernement lors de l’abolition des commissions scolaires. S’il était si important de s’assurer que les décisions dans le milieu de l’éducation soient prises le plus possible par ceux et celles qui connaissent les enfants par leur nom, pourquoi en serait-il autrement quand vient le temps de parler de sécurité publique?

Le sentiment d’appartenance des policiers face à la communauté est très important pour assurer l’engagement des hommes et des femmes derrière l’uniforme. C’est une condition essentielle pour réussir la mise en place d’un corps policier communautaire. Voilà un autre avantage des corps policiers municipaux où les policiers et policières travaillent souvent toute leur carrière au sein du même corps. Ils développent alors une expertise fine du territoire et des citoyens qui y résident, ce qui leur permet de faire des interventions plus personnalisées. Il suffit de parler avec quelqu’un qui a plusieurs années d’expérience pour voir toute la maîtrise du territoire que ce policier a cumulée.

Pour développer la police du 21e siècle au Québec, il est évident que le gouvernement devra mettre en place une politique de financement équitable pour tous les corps policiers du Québec afin d’assurer le déploiement de corps policiers communautaires. Comme nous le proposions plus haut, la solution optimale serait de subventionner le niveau de service 1 puisque tous les corps policiers doivent offrir ces services à la population. Ainsi, les municipalités auront la possibilité de choisir le type de couverture qu’elles veulent et elles auront les moyens de financer les initiatives communautaires nécessaires à la prévention de la criminalité.

Au cours des derniers mois, l’idée de définancer la police a fait son bout de chemin dans l’espace public. Si l’on écoute bien l’argumentaire des défenseurs de cette idée, on comprend que leur objectif est d’obtenir un réinvestissement dans les services communautaires, qui est une solution durable pour prévenir la criminalité, en procédant à la diminution de la taille des services de police. Or, un corps policier communautaire répond déjà à ce besoin. Il serait illogique de sabrer dans les corps policiers communautaires qui fonctionnent bien pour créer une autre structure qui prendra beaucoup de temps et d’énergie à mettre en place alors qu’on pourrait donner les moyens pour s’améliorer aux services déjà en place. Plus le service de police est près de la population, plus le niveau de confiance est élevé. Il n’y a pas de crises de confiance face à la majorité des corps policiers au Québec parce qu’ils sont de plus petite taille et en contact constant avec la population. Il faut encourager cette pratique par un financement juste.

Dans sa politique de décembre 2000, le gouvernement énumère au chapitre 7 ses engagements envers les corps policiers communautaires. Le grand oublié de cette liste est le soutien financier pour permettre à chacun d’accomplir sa mission. Selon nous, c’est ce qui explique que la mise en place de corps policiers communautaires ne s’est pas effectuée aussi bien qu’on l’espérait. Nous le répétons : il est normal pour les villes, qui ont des moyens plus limités que le gouvernement du Québec, de chercher à faire des économies, quitte à choisir une desserte policière moins adaptée, mais qui leur coûte moins cher. Ce qui n’est pas normal, c’est que le gouvernement encourage cette pratique avec son système à deux vitesses. Il faut changer de paradigme et permettre aux instances locales de créer et de déployer des services policiers communautaires locaux, financés en collaboration avec le gouvernement du Québec.

De plus, il est primordial de créer plus de postes d’agents aux relations communautaires au sein de ces services afin de bien épouser l’approche communautaire. Il est primordial d’avoir des policiers responsables de créer des liens avec les jeunes, de faire de la prévention quant à la consommation de drogues, d’épauler les nouveaux arrivants dans leur intégration à leur nouvelle communauté, d’aider les plus démunis de la société, d’être à l’écoute des aînées qui sont souvent seuls, de protéger les personnes vulnérables et de connaître les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale afin d’anticiper et de mieux gérer les situations de crise. Il faut permettre aux villes et aux corps policiers de développer des programmes communautaires sans compromettre d’autres projets et la couverture policière. Malheureusement, les budgets actuels des villes ne le permettent pas; l’aide financière du gouvernement du Québec est nécessaire.